INTERVIEW I Sabrina Cohen Dumani

«Mettre les gens en mode projet est ce qui permet d’activer la transition écologique»
Fondatrice et directrice de la fondation Nomads, Sabrina Cohen Dumani est convaincue que la cocréation est déterminante pour développer les projets qui façonneront la société de demain. Un modèle collaboratif qui fait mouche et fédère une communauté grandissante d’acteurs de l’innovation.
PROPOS RECUEILLIS PAR ÉLODIE MAÎTRE-ARNAUD
La transition énergétique n’est pas uniquement un défi technique. Et pour atteindre la neutralité carbone, de nombreux acteurs doivent coordonner leurs actions afin de transformer le modèle de société. Née en 2015, la fondation Nomads a précisément pour but d’accompagner les acteurs privés et publics à collaborer pour développer ensemble des projets concrets faisant écho aux objectifs de développement durable fixés par les Nations unies. Rencontre avec Sabrina Cohen Dumani, fondatrice et directrice de Nomads.
La notion de cocréation est au cœur de vos projets. Pourquoi ce leitmotiv?
L’action collective est vraiment la marque de fabrique de Nomads depuis son origine. Je suis partie du constat que les acteurs de l’innovation en Suisse fonctionnaient sur un mode compétitif, alors que notre pays est fondé sur un modèle collaboratif. Et c’est bien cette culture de la collaboration entre des acteurs de divers horizons professionnels qui permettra de relever les nombreux défis qui nous attendent. D’où l’idée de créer une fondation neutre et indépendante dont la mission serait de mettre en place des plateformes collaboratives afin d’accompagner le changement. De là ont émergé quatre hubs, centrés sur des problématiques de transition énergétique et de transition de société: la mobilité, l’efficience énergétique, le futur des jobs et le contrat social de demain.
Comment la fondation favorise-t-elle l’émergence de ces projets?
Nous ne sommes donc pas un think tank, mais un «act tank». Les différents acteurs se rencontrent régulièrement à travers les quatre plateformes thématiques que nous animons – les hubs. C’est pour eux l’occasion de présenter des projets auxquels d’autres participants pourraient collaborer. Ils y exposent aussi les éventuels obstacles auxquels ils sont confrontés afin d’imaginer ensemble des solutions. Nomads intervient pour les fédérer en mode projet afin qu’ils élaborent ensemble des solutions innovantes et durables. Car nous sommes convaincus que mettre les gens en mode projet est ce qui permet d’activer la transition écologique. Nous organisons également des événements ouverts à tous pour échanger autour de diverses thématiques en lien avec celles des hubs. Nous développons enfin des projets spécifiques, comme le cycle d’ateliers de prospective sur les green jobs, que nous avons mis en place depuis cet automne avec le soutien d’Innosuisse, toujours avec l’idée d’amener les participants à développer des projets concrets qui permettront ensuite une modélisation pour diffuser les bonnes pratiques.
Pourquoi ce focus sur les green jobs? De quoi s’agit-il?
On estime que la «révolution verte» touchera la moitié des emplois dans le monde. Il faut anticiper et accompagner les entreprises dans ce changement. A travers ce projet, nous souhaitons enclencher un mouvement permettant de faire émerger des solutions non seulement pour la création d’emplois, mais aussi pour faire évoluer la formation en fonction des besoins futurs. Notre approche est résolument systémique.
Certains des projets ont-ils déjà abouti?
Le projet GoH! (un camion à hydrogène vert, ndlr) est à bout touchant. Il est né de la rencontre de plusieurs acteurs privés et publics qui souhaitaient développer un projet commun autour de la mobilité hydrogène (lire aussi l’encadré). Nomads est entrée dans la danse à leur demande afin d’en assurer la coordination, de proposer une stratégie de communication commune et de réfléchir au volet formation. Ce dernier point est crucial si l’on veut favoriser un réel changement de société. GoH! fait ainsi office de laboratoire pour adapter les formations nécessaires à cette nouvelle filière. Nous venons par ailleurs d’annoncer le projet Aurora, qui rassemble le fonds immobilier Realstone, Romande Energie et la société GreenGT. Leur objectif est d’intégrer de l’hydrogène vert, produit et stocké localement, au bouquet des énergies renouvelables utilisées dans les bâtiments. Le projet doit permettre de modéliser puis d’installer un tel système dans un ensemble d’immeubles pour finalement commercialiser des solutions utilisant l’hydrogène vert. L’étude de faisabilité est en cours afin notamment d’identifier les technologies les plus appropriées et les plus rentables. Car si les solutions durables sont trop chères, on ne changera pas les choses…
Qui trouve-t-on dans la communauté Nomads?
Environ 130 entreprises privées et institutions publiques, parmi lesquels nos partenaires stratégiques: les Services industriels de Genève, IWG Suisse et Price Water-house Cooper (PWC). Nous nous appuyons aussi sur plus de 200 membres qui partagent leurs expertises, 8 salariés et un conseil de fondation de 6 membres, présidé par Jean-Luc Favre (ancien directeur d’ABB Sécheron, il est également président de l’Union des associations patronales genevoises, ndlr). Tous partagent le même intérêt, que l’on peut qualifier de «citoyen», de participer au changement de notre société. Nos membres et partenaires trouvent également chez Nomads un moyen d’étoffer leur réseau professionnel et de faciliter le développement de projets.
Quelle est la plus-value de Nomads par rapport aux autres structures qui favorisent le réseautage?
Les acteurs économiques privés, les institutions publiques, académiques, et les acteurs de la formation professionnelle ou du monde associatif ont rarement l’opportunité de développer des projets communs. Nomads a précisément pour but de faire le lien au-delà de la simple mise en relation. Nous sommes un catalyseur de projets.
Un 40 tonnes 100% hydrogène bientôt sur les routes
Porté par un consortium de quatre entreprises (Migros Genève, GreenGT, LARAG et SIG), le projet GoH! innove en faveur d’une mobilité zéro émission grâce à l’hydrogène 100% local et renouvelable. Son objectif est de démontrer la viabilité technique et économique d’une filière hydrogène entièrement suisse. De la production d’hydrogène par électrolyse alimentée avec de l’énergie renouvelable (SIG) au stockage et à la distribution via une station hydrogène (Migrol), les compétences mutualisées des partenaires vont permettre de faire rouler un camion de 40 tonnes (assemblage LARAG) fonctionnant avec un groupe motopropulseur électrique hydrogène (GreenGT) et qui sera utilisé par Migros Genève pour la livraison de marchandises. Les tests sont en phase finale et le premier camion a été présenté au mois de novembre lors du Salon suisse du véhicule utilitaire, à Berne. La fondation Nomads anime et coordonne cette cocréation.

PHOTOGRAPHIES: LHUMEN ET ANNA-TINA EBERHARD