MOBILITÉ I Aviation

Airbus vole vers l’hydrogène
Airbus a dévoilé en septembre dernier trois concepts d’avions alimentés à l’hydrogène. Les premiers passagers commerciaux pourraient embarquer en 2035. D’ici là, de nombreux défis sont encore à relever pour faire voler ces drôles d’oiseaux.
JOËLLE LORETAN
«Nous avons trois architectures d’avions différentes (lire l’encadré ci-dessous), mais il est trop tôt pour prédire laquelle sortira gagnante», annonce Anne Galabert, porte-parole d’Airbus. «Mais, quelle que soit notre décision, tous ces concepts utiliseront l’hydrogène comme source d’énergie principale.» La feuille de route du constructeur européen prévoit un premier démonstrateur au sol en 2021, un vol de démonstration en 2023, la sélection de la technologie d’ici à 2024 et une mise en service commerciale en 2035. «L’un des objectifs de notre récente communication est d’indiquer clairement que les besoins de l’aviation doivent être pris en compte dans la planification des énergies renouvelables. Moins de 0,1% de la production mondiale d’hydrogène est aujourd’hui considéré comme de l’hydrogène vert, mais cela pourrait changer.» Car si l’utilisation de ce carburant «du futur» ne rejette pas de CO2, la manière dont il est extrait peut s’avérer très polluante (lire notre dossier Demain, l'hydrogène?). A noter toutefois que le constructeur ne propose pas de convertir toute sa flotte à l’hydrogène en 2035, mais un seul modèle d’avion commercial.
LA PRODUCTION DE L’HYDROGÈNE EN QUESTION
D’après l’Agence internationale de l’énergie (AIE), plus de 70 millions de tonnes d’hydrogène sont produites chaque année, dont une grande majorité provient du traitement du gaz naturel et du charbon. Une alternative peu polluante est l’électrolyse de l’eau (soit la séparation des molécules d’hydrogène et d’eau), à condition que les électro-lyseurs soient alimentés par de l’électricité issue de sources d’énergie renouvelables. Et c’est cette voie que souhaite poursuivre Airbus. «Plusieurs prévisions montrent que le coût de l’énergie renouvelable et de l’électrolyse diminuera considérablement au cours des prochaines décennies, afin que de nombreuses industries puissent respecter l’Accord de Paris», explique Anne Galabert. «Nous pensons que la baisse des coûts des énergies renouvelables et l’augmentation de la production d’hydrogène pourraient rendre l’hydrogène vert de plus en plus compétitif par rapport aux options existantes.»
REPENSER AVIONS ET INFRASTRUCTURES
Si la production de l’hydrogène représente un sérieux défi, son volume de stockage (quatre fois plus grand que le kérosène pour la même énergie) en est un autre. «L’hydrogène possède une faible densité énergétique et nécessite, de ce fait, de grands réservoirs pour être stocké et faire voler les avions sur les mêmes distances qu’aujourd’hui», précise Peter Wild, chercheur à l’ETH Zurich sur le programme Aviation et conférencier pour l’aviation et la durabilité. «Cela impacte la composition de l’avion et réduit le nombre de passagers que l’on pourrait accueillir. Je ne vois pas comment un vol, avec une telle configuration, pourrait être rentable.» Et si un avion à l’hydrogène implique non seulement de repenser l’architecture des appareils (fuselage, moteurs, réservoirs, etc.) et d’inventer tous les processus de certification, il demande en outre d’adapter les infrastructures de ravitaillement au sol.
«La disponibilité et le coût de l’hydrogène liquide dans les aéroports constituent un autre défi majeur pour une adoption généralisée», reconnaît Airbus. «Nous sommes en discussion avec nos compagnies aériennes clientes, notamment Scandinavian Airlines (SAS) et EasyJet, avec qui nous avons signé des protocoles d’accord pour la recherche sur les besoins en infrastructures des avions électriques, hybrides et à hydrogène.» Le constructeur collabore également avec les aéroports sur le concept d’«Aéroports Hub Hydrogène». L’idée consiste à développer d’ici à 2030 une approche par étapes, notamment en utilisant l’hydrogène pour décarboniser tous les transports terrestres en lien avec les activités aéroportuaires (logistique des marchandises lourdes, bus, dépanneuses, etc.)
SUIVRE LES OBJECTIFS INTERNATIONAUX
Peter Wild, également président de la commission Formation, recherche et innovation d’Aerosuisse, reste encore sceptique sur les débouchés réels. «Je perçois l’annonce d’Airbus plus comme du marketing que comme quelque chose de réaliste. Mais je comprends aussi que les compagnies et les constructeurs se trouvent devant un même défi: réduire de 50% leurs émissions de CO2 d’ici à 2050 (par rapport à 2005), afin de respecter le cadre défini par l’International Air Transport Association (IATA).» L’IATA, représentant quelque 290 compagnies aériennes assurant 82% du trafic mondial, précise que «l’atteinte de ces objectifs nécessite des investissements dans les nouvelles technologies, les carburants d’aviation durables et les améliorations opérationnelles».
Pour Airbus, qui a fêté ses 50 ans en 2019, une solution basée sur l’hydrogène semble prometteuse, viable et à portée de main. Mais le constructeur précise que le zéro émission passe par les synergies: «L’augmentation de la production d’hydrogène et la réduction de l’empreinte carbone de sa production est une étape qui exige que toutes les parties prenantes, y compris les producteurs d’énergie et les gouvernements, travaillent ensemble pour y parvenir.» Airbus reste donc confiant mais prudent et se donne cinq ans pour évaluer les différents concepts et technologies.
A quoi vont ressembler les avions?
L’hydrogène peut être utilisé directement dans une turbine à gaz modifiée ou être converti en électricité grâce à une pile à combustible. Airbus allie ces deux solutions sur ses trois prototypes d’avions, tous baptisés #ZEROe.

Double flux
Concept de turboréacteur capable de transporter jusqu’à 200 passagers sur une distance de vol d’environ 3700km.

Turbopropulseur
Concept de turbopropulseur, au lieu d’un turboréacteur. Capacité maximale de 100 passagers pour une distance de quelque 1800km.

Corps à ailes
Repense l’architecture de l’avion et offre de multiples possibilités pour le stockage et la distribution d’hydrogène. Permet d’embarquer jusqu’à 200 passagers et parcourrait près de 1800km. Selon Airbus, c’est ce dernier projet qui accommoderait le mieux l’hydrogène.
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