DOSSIER I Solaire

Le premier parc solaire flottant en milieu alpin a été mis en service fin 2019 par Romande Energie (photo: Romande Energie).
Solaire suisse
Le contre-la-montre a commencé
Afin d’atteindre les objectifs de la Stratégie énergétique 2050, la Suisse doit foncer. Toitures et façades recouvertes de panneaux photovoltaïques feront notamment partie intégrante du paysage énergétique du pays. Mais, pour cela, le solaire doit encore relever de nombreux défis. On fait le point.
DOSSIER PRÉPARÉ PAR THOMAS PFEFFERLÉ ET ÉLODIE MAÎTRE-ARNAUD
Pour réaliser sa transition énergétique avec succès, la Suisse doit agir sur plusieurs axes: décarboner son économie, sortir du nucléaire et préserver son indépendance énergétique. Afin de remplacer le fossile et l’atome sans trop dépendre des importations de courant, il est donc indispensable d’exploiter pleinement le potentiel des énergies renouvelables. Si, sur le papier, les objectifs semblent clairs, sur le terrain, on constate que la cadence est lente, en particulier dans certaines filières. Certes, l’hydro-électrique est historiquement bien implanté dans le pays, mais d’autres sources d’énergie doivent se développer à grande échelle afin de prendre part, dans une proportion significative, au mix énergétique propre à atteindre. Dans ce sens, le solaire est l’un des principaux leviers à activer pour la production d’énergie.
En 2019, le soleil a fourni 4% du courant consommé en Suisse, soit un peu plus du double qu’en 2015. L’objectif est de couvrir 20% de nos besoins actuels en électricité grâce au photovoltaïque à l’horizon 2050. Peut mieux faire donc, d’autant que le potentiel est conséquent. La superficie de la Suisse reçoit en effet 200 fois plus d’énergie sous la forme de rayonnement solaire que ce qu’il faut pour couvrir la consommation totale du pays! Et, selon des estimations de la plateforme Swiss-Energyscope, si nous décidions d’équiper de panneaux photovoltaïques 80% de la surface totale des toitures et façades bien exposées de Suisse, nous pourrions couvrir entre 35 et 45% de nos besoins en électricité escomptés en 2050.
2400 GWh d’électricité
ont été produits en Suisse en 2019 grâce au photovoltaïque
MULTIPLIER LES GRANDES UNITÉS DE PRODUCTION
Avec une topographie très montagneuse et de nombreuses zones agricoles et forestières protégées, la Suisse ne permet pas d’implanter facilement des fermes solaires de grande envergure, comme c’est le cas en Allemagne par exemple. Notre pays a cependant une carte intéressante à jouer en considérant notamment ses nombreux lacs, afin d’y installer des infrastructures novatrices, à l’instar de cette première mondiale réalisée par Romande Energie à 1810 mètres d’altitude. Non loin du col du Grand-Saint-Bernard, une drôle de plateforme flotte désormais sur les eaux du lac artificiel des Toules, né de l’implantation d’un barrage en 1958. Ce parc solaire d’un nouveau genre, mis en service fin 2019, doit permettre de générer 800’000 kilo-wattheures par année, soit l’équivalent de la consommation moyenne de 220 ménages environ. L’objectif de Romande Energie est d’augmenter la surface de cette infrastructure solaire flottante, ce qui permettrait de produire 22 millions de kilowattheures par an, de quoi assurer la consommation énergétique de 6100 ménages. Avec ses nombreux lacs de montagne, la Suisse pourrait ainsi avoir identifié un nouveau modèle permettant de conjuguer habilement développement photovoltaïque et durabilité.

Un cadastre solaire
Le toit et les façades de ma maison sont-ils adaptés à l’exploitation de l’énergie solaire? Combien d’électricité et de chaleur pourrais-je produire? Une application développée par SuisseEnergie permet de répondre à ces questions en quelques clic. Les toits et les façades de Suisse ont en effet été répertoriés sur www.toitsolaire.ch et www.facade-au-soleil.ch. Il suffit d’entrer son adresse et les données relatives au potentiel solaire de l’habitation sont transférées directement vers le calculateur solaire en cliquant sur le bouton «Combien coûte mon installation solaire?».
CONVAINCRE LES PARTICULIERS ET LES ENTREPRISES
L’énergie solaire, c’est aussi et surtout la possibilité de développer un nouveau paradigme dans lequel chacun peut devenir acteur de la transition énergétique. Les lois cantonales sur l’énergie imposent d’ailleurs une part significative de production renouvelable locale dans les nouvelles constructions et les rénovations, afin de couvrir une partie des besoins en électricité et en eau chaude sanitaire. L’installation de panneaux photovoltaïques sur les habitations et locaux professionnels est un levier important à activer. Mais le coût d’acquisition d’une telle installation est parfois encore un facteur dissuasif, notamment pour les particuliers. Si les prix ont chuté drastiquement au cours des dix dernières années, il faut investir, hors subventions, entre 15’000 et 20’000 francs pour l’installation d’une infrastructure d’environ 30m2 posée sur une maison familiale, selon des estimations de l’OFEN. L’encouragement financier de la Confédération et les déductions fiscales constituent des aides significatives, mais le délai d’attente pour en bénéficier freinerait encore de nombreux propriétaires. Quant au rachat du surplus de courant produit par les installateurs et gestionnaires de réseaux, l’argument est intéressant mais rarement décisif, rapporté au coût total d’acquisition et d’installation d’une infrastructure photo-voltaïque.
La Suisse comptait
100’000 installations
photovoltaïques à fin 2019
RÉUSSIR L’INTÉGRATION DES MODULES
Autre défi à relever pour développer le photovoltaïque, celui de l’esthétique. Certains architectes et propriétaires rechignent encore à intégrer des panneaux solaires dans leur projet immobilier, afin de ne pas nuire à son aspect. Par ailleurs, on ne peut pas exclure une éventuelle opposition lors des mises à l’enquête impliquant ce type d’installations. La problématique de l’esthétique fait toutefois l’objet de nombreuses recherches et les modules standards ont beaucoup évolué, sous l’impulsion notamment du Centre suisse d’électronique et de microtechnique (CSEM), à Neuchâtel. Il existe désormais des modules photovoltaïques de plusieurs formes et coloris qui peuvent également être posés en façade. En résidentiel, les panneaux de couleur noire remplacent ainsi les modules bleutés à cellules apparentes, désormais réservés aux bâtiments industriels. Grâce à certaines innovations, il est même possible de réaliser un toit solaire sur un bâtiment historique sans le défigurer. Selon la couleur des panneaux, on peut observer une perte de rendement plus ou moins importante; les progrès rapides en la matière devraient à terme permettre de résoudre ce problème.
De l’importance du solaire thermique
Dans un contexte énergétique marqué par la décentralisation de la production, les installations solaires thermiques ont elles aussi un rôle très important à jouer. Elles permettent en effet de tendre vers l’autonomie énergétique des habitats individuels et collectifs en évitant de consommer inutilement d’énormes quantités d’électricité pour produire de la chaleur. Couplés à un accumulateur d’eau, les capteurs thermiques installés en toiture permettent de produire de la chaleur et de l’eau chaude. Pour donner un ordre d’idée, selon une estimation de l’association Sebasol, une installation comprenant 12 à 24m2 de capteurs intégrés en toiture couplés avec un réservoir de 1000 à 2500 litres permet de couvrir 50 à 85% des besoins en eau chaude sanitaire et en chauffage pour un habitat familial individuel bien isolé.
RÉPONDRE À LA PROBLÉMATIQUE DU STOCKAGE
Les installations solaires produisent de l’électricité de façon intermittente. La production est en effet intrinsèquement liée au phénomène naturel et irrégulier de l’ensoleillement (alternance jour/nuit et conditions météorologiques plus ou moins favorables). Le déploiement à grande échelle du photovoltaïque dépend donc aussi largement de la possibilité de stocker hors réseau le surplus de courant d’origine solaire, et ce, afin de pouvoir l’utiliser en fonction des besoins des consommateurs. En matière de stockage, plusieurs solutions sont disponibles ou à l’étude: packs de batteries décentralisées pour le stockage à court terme, ou hydrogène pour le stockage à long terme, notamment. Les particuliers peuvent par ailleurs augmenter leur part d’autoconsommation de l’électricité produite par leur installation solaire en alimentant un chauffe-eau, une pompe à chaleur ou encore en rechargeant un véhicule électrique. Selon SuisseEnergie, l’électricité photovoltaïque est moins chère que celle fournie par le réseau à partir d’un taux de consommation propre de 35%.

Chute des prix du pétrole, quelles conséquences sur le solaire?
La crise du Covid-19 a engendré une chute vertigineuse des prix du pétrole. «Dans un premier temps, cela a permis aux consommateurs de bénéficier de tarifs historiquement bas à la pompe», rappelle Peter van der Welle, de Robeco, un groupe international spécialisé dans la gestion d’actifs et les produits d’investissement durable. «Ces prix bas vont en outre créer de la demande et pourraient permettre de favoriser les entreprises très énergivores durant la reprise économique.» Les perspectives pour les énergies renouvelables, en particulier le solaire, restent cependant positives, la crise actuelle constituant en effet un terreau favorable aux programmes politiques environnementaux. En témoigne le plan de relance européen, qui spécifie que la «transition verte» jouera un rôle central pour relancer et moderniser l’économie. «Les faibles prix du pétrole ont par ailleurs permis de souligner la solidité du modèle économique des énergies renouvelables», poursuit l’analyste. «Les investissements dans ce segment semblent en effet avoir mieux géré le ralentissement provoqué par la crise du coronavirus que l’ensemble du marché. En tant que valeur relativement sûre, le solaire devrait donc continuer à attirer des investisseurs soucieux de sécuriser leur portefeuille.»
SÉCURISER LES RÉSEAUX DE DISTRIBUTION
Le déploiement à grande échelle des renouvelables en général, et du photovoltaïque en particulier, est aussi un grand défi pour les réseaux de transport et de distribution d’électricité, qui doivent s’adapter. En raison des aléas météorologiques, des nouvelles manières de produire et de consommer l’électricité ainsi que des difficultés pour stocker le courant, les réseaux sont en effet soumis à des fluctuations importantes. Par exemple, dans certaines régions concentrant de nombreuses toitures recouvertes de panneaux solaires, une très grande quantité d’électricité refoule sur le réseau lors des pics de production. «La décentralisation de la production engendre des problématiques nouvelles en matière de gestion des réseaux», confirme Michael De Vivo, CEO de DEPsys, une entreprise spécialisée dans la gestion intelligente des réseaux électriques. «Afin de garantir leur qualité et leur bon fonctionnement en toutes circonstances, on doit comprendre et maîtriser ces nouvelles dynamiques.» Et de souligner que l’implémentation des outils numériques permettant aux gestionnaires et distributeurs de le faire prend du temps, «surtout dans un secteur plutôt conservateur».
La durée de vie moyenne d’une installation photovoltaïque est de
30 ans
PASSER L’ÉPREUVE DE L’OUVERTURE TOTALE DU MARCHÉ DE L’ÉLECTRICITÉ
En avril dernier, le Conseil fédéral a décidé de prévoir une modification de la loi sur l’approvisionnement en électricité. Objectif: permettre aux ménages ainsi qu’aux petites entreprises de choisir librement leur fournisseur, une option jusqu’à présent réservée aux gros consommateurs (plus de 100’000kWh/an). Prévue pour début 2021, cette modification de la loi devra permettre de discuter de l’ouverture totale du marché. Toutefois, pour Swissolar, la proposition menace le développement des énergies renouvelables. En particulier, le tarif de reprise du courant pour les producteurs indépendants pourrait baisser, ce qui compromettrait la rentabilité économique des installations. «Ce projet induit une libéralisation dans un cadre où il est en fait nécessaire de protéger et de soutenir les distributeurs locaux», précise Lionel Perret, de Swissolar. «Cette modification permettrait aux consommateurs de s’approvisionner en électricité bon marché, obligeant les distributeurs à s’aligner sur les tarifs européens les plus bas, par exemple proposés par les filières de l’énergie fossile.» Une vision que ne partagent pas certains acteurs de l’économie et qui promet des débats intéressants au moment des discussions sur la modification de la loi.
Le coût moyen d’un kilowattheure d’électricité solaire avec une installation neuve est de
12 ct./kWh
au printemps 2020