MOBILITÉ I Mobilité individuelle

L’hydrogène arrive sur les routes suisses
Quelques dizaines de voitures fonctionnant à l’hydrogène circulent déjà dans le pays. Nous avons pris le volant de la Toyota Mirai, l’un des premiers modèles disponibles en série.
TEXTE ET PHOTOS: CLÉMENT GRANDJEAN
Une pression du doigt sur le bouton start, et... rien. Pas de bruit de moteur, tout juste une tonalité électronique qui indique que le véhicule est prêt à prendre la route. Dans un murmure de pneumatiques, la voiture se met en mouvement. Nous sommes au volant de l’un des premiers exemplaires suisses de la Toyota Mirai, une berline qui carbure à l’hydrogène. A la place du réservoir d’essence, trois bonbonnes contenant ce gaz sous pression. Le tout dans un emballage luxueux: cuir crème, métal brossé, toit vitré et mensurations impressionnantes, avec près de 5 mètres de long.
Au volant, la sensation est identique à celle que l’on éprouve dans une voiture électrique. Et pour cause: c’en est une (lire l’encadré). Tout au plus remarque-t-on, à l’arrêt, un fin nuage de vapeur d’eau diffusé par le pot d’échappement, signe que la pile à combustible est en fonction.
PARTICULES FINES CONTRE VAPEUR D’EAU
Alimenter un moteur au moyen d’un gaz facile à produire, pour faire avancer une voiture sans rejeter de substances polluantes: les promesses de l’hydrogène sont alléchantes pour une industrie automobile qui pense déjà à l’après-pétrole. Pour prendre l’avantage dans cette course au progrès et éviter d’être distancée par la Chine, l’Europe investit en masse dans la production et le transfert d’hydrogène: 9 milliards investis en Allemagne et 1,5 milliard pour la France – qui entend mettre à profit la technologie pour décarboner son aviation. Car la motorisation à l’hydrogène ne s’applique pas qu’au trafic routier: «L’hydrogène est important lorsque l’électrification directe n’est pas possible, détaille Fabien Lüthi, porte-parole de l’Office fédéral de l’énergie (OFEN). C’est le cas dans certains domaines du transport de marchandises sur longue distance, mais aussi pour le transport maritime et aérien.»
Cela ne veut pas dire pour autant que les voitures de demain rouleront forcément à l’hydrogène. «La solution la plus efficiente et la moins coûteuse pour mettre un véhicule en mouvement reste un moteur électrique relié à une batterie, estime Hubert Girault, professeur au sein du laboratoire d’électrochimie physique et analytique de l’EPFL. L’hydrogène ne sera compétitif que pour les véhicules les plus grands, qui nécessiteraient sinon une batterie trop lourde, comme les camions, les minibus ou encore les engins de chantier.»
LA POMPE, NERF DE LA GUERRE
Deuxième jour d’essai. Après plusieurs centaines de kilomètres avalés en plaine comme sur des routes de montagne, l’aiguille indiquant le niveau d’hydrogène dans le réservoir descend dangereusement. C’est le moment de faire le plein. Et ça ne s’improvise pas: six stations-service proposent aujourd’hui de l’hydrogène en Suisse. Dont une seule en Suisse romande. Heureusement, elle est située à Crissier, à deux pas du garage où nous nous apprêtons à restituer notre véhicule de test. Il nous faut quelques instants pour comprendre comment brancher la pompe à la voiture, mais le remplissage s’opère sans anicroche, en un laps de temps à peine plus élevé que celui d’un plein d’essence. Derrière nous, un camion attend son tour, rappelant que le marché des poids lourds constitue la principale cible pour l’hydrogène: 50 camions de la firme coréenne Hyundai circulent déjà en Suisse dans le cadre d’un projet national. D’ici à cinq ans, ils seront plus de 1500, faisant de la Suisse une véritable porte d’entrée vers le continent européen pour ce marché lucratif.
Du côté des voitures individuelles, l’évolution est plus lente: quelques dizaines de Toyota Mirai ont été vendues dans le pays. Le nerf de la guerre du côté des automobilistes? Le réseau de recharge, bien sûr, ainsi que le coût du véhicule, qui démarre à 59’900 francs. La pesée d’intérêt entre électrique pur et électrique à l’hydrogène, elle, interviendra plutôt au niveau des constructeurs. En japonais, «Mirai» signifie «futur». L’hydrogène ne propulsera peut-être pas toutes les voitures de demain, mais il ne fait aucun doute qu’il fera partie du paysage, sur les routes, sur les mers et dans les airs.
Comment ça marche?
Pour fabriquer de l’hydrogène, il faut réaliser une électrolyse, soit une réaction de conversion entre de l’eau et un courant électrique. Un processus simple et bien maîtrisé. Mais s’il permet d’envisager une mobilité affranchie des énergies fossiles et ne rejetant pas de particules fines, l’hydrogène doit être produit de manière écologique pour que son bilan soit intéressant. Ce dernier dépend donc directement du mix énergétique du pays.
Quant au fonctionnement d’un véhicule à hydrogène, dans les grandes lignes, c’est un modèle électrique qui fabrique sa propre électricité. Stocké dans des bonbonnes sous forme gazeuse, l’hydrogène est injecté dans la pile à combustible où, en contact avec de l’oxygène, il produit du courant et de l’eau. Le système comprend aussi une petite batterie au lithium, qui offre un surcroît de puissance en cas de besoin et récupère de l’énergie durant les phases de freinage.


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